Zoom sur le canal des Ardennes
Le canal qui traverse Le Chesne – et dont il est inutile de vanter les mérites aux habitants – date de la Restauration ; il aura ainsi deux siècles dans quelques années.
Quelques chiffres suffisent à montrer toute l’ambition qui avait été placée par les autorités de l’époque dans ce projet de communication fluviale : une longueur totale de 105 km (dont 39 km pour le canal de jonction qui passe au Chesne) ; 33 écluses (dont 26 pour la vallée de Montgon) ; un tirant d’eau porté à 1,6 m ; une dépense finale de plus de 14 millions de francs (bilan de 1842).
Le canal des Ardennes a une longue histoire dont les origines plongent dans l’Ancien Régime. Nous en donnerons les principaux jalons chronologiques avant de nous arrêter sur quelques spécificités propres au bourg du Chesne.
Projets des XVIIe et XVIIIe siècles
1634 : Premier projet de jonction de l’Aisne et de la Meuse « par le moyen de la rivière de Bar », à élargir, et par la construction de 25 grandes écluses jusque Mouron.
1664 : Deuxième projet, à l’initiative du duc de Mazarin, qui prévoit déjà que le canal passerait au Chesne et par la vallée de Montgon.
1746 : Reprise des études pour faire communiquer la Meuse et la Seine via l’Aisne et la Bar. Le projet de canal est approuvé en 1753. L’ingénieur Cretté, qui se porte à la tête de l’entreprise, remet un devis estimatif en 1767. En 1771, le roi accorde la concession du canal à Cretté et à sa compagnie pour 80 ans. Mais endetté, l’ingénieur est emprisonné en 1773 et le projet est confié au prince de Conti sous le nom de « canal royal de Champagne ». Pendant plusieurs années, rien ne se passe. On se contente, entre 1782 et 1784, de rendre l’Aisne navigable jusqu’à Evergnicourt.
1786 : Nouveau projet, par l’ingénieur des ponts et chaussées Jolivet, pour réunir l’Aisne à la Meuse par les vallées de la Vaux, du Thin et de la Sormonne.
1794 : Deux mémoires, l’un par l’ingénieur hydraulique De Gency, l’autre par l’ingénieur en chef des travaux publics des Ardennes A. Deschamps, proposent de nouveau d’établir une communication entre la Seine et la Meuse. Le second, plus abouti, veut profiter des rivières d’Aisne et de Bar et construire un canal de jonction de 6 800 toises, soit près de 12 km.
Les étapes de la construction
Les vicissitudes de la Révolution empêchent de mener à bien le projet qui avait été mûri depuis le XVIIe siècle. Le canal devait servir au transport de diverses marchandises comme le bois, le fer ou les ardoises, le grain ou le charbon. Devant son intérêt économique, il est repris sous l’impulsion de Louis Becquey, directeur général des ponts et chaussées.
1819 : Les ingénieurs Du Peirat et Leroy présentent un projet de canal empruntant la vallée de la Bar jusqu’à Semuy, puis la rive droite de l’Aisne jusqu’à Château-Porcien à l’aval duquel on rendrait la rivière navigable. Coût des travaux : 5,9 millions de francs. Le directeur général des travaux publics approuve ce projet en avril 1821.
1821 : Après un débat parlementaire qui a débuté en mai, une loi prescrivant la construction du canal des Ardennes est adoptée par la chambre des députés le 5 août. Le ministre de l’Intérieur passe alors une convention avec la compagnie Sartoris, mais les travaux sont retardés par de nouvelles discussions sur le tracé.
1823 : Le 24 août, à Pont-à-Bar, la première pierre du canal est posée. Le préfet par intérim Louis-Roland de Mecquenem prononce le discours pour l’inauguration des travaux. Dans le versant de l’Aisne, la pente de 78,40 m doit être rachetée par 25 écluses.
1825 : Début des travaux du canal latéral de l’Aisne. À la demande des ingénieurs militaires, il est réalisé sur la rive gauche de la rivière.
1827 : À la fin de l’année, la navigation est établie sur le canal de jonction jusqu’au Chesne. Cette partie du canal a été achevée au mois d’octobre. Entre Le Chesne et Semuy, il faut encore réaliser quelques travaux de consolidation ou pour l’écoulement des grandes eaux.
1830 : Le canal qui relie Pont-à-Bar à Semuy est terminé, y compris le pont-canal de Bairon. On a également aménagé le chemin de halage (6 m de large).
1833 : Le canal latéral de l’Aisne est achevé.
1836 : Adjugés trois ans plus tôt à l’entrepreneur Boudinier, les travaux de l’embranchement qui part de Semuy vers l’amont de l’Aisne sont achevés. La navigation arrive jusqu’à Vouziers.
Le Chesne et son canal
Le Chesne est la seule localité à être traversée en son milieu par le canal de jonction. Partout ailleurs, entre Semuy et Pont-à-Bar, il évite le cœur des différents villages. En 1823, avant le début des travaux, d’autres tracés avaient été proposés : soit un contournement du bourg, soit le passage par la rue Notre-Dame. Le projet de tracé qui traversait la place l’emporta : « Son exécution est généralement désirée dans le pays ; il est en effet plus avantageux pour le bourg et il contribuerait à l’assainir. » Pour le creusement, deux équipes travaillèrent à la rencontre l’une de l’autre et leur jonction se fit sur la place en août 1824. Les propriétaires des terrains traversés par le canal avaient été indemnisés. Au Chesne, le tracé supprima la presque totalité des vergers et les indemnisations furent élevées.
En 1825, une notice d’Auguste Duvivier, conservateur des antiquités des Ardennes, rapporte que les travaux du canal ont permis de mettre au jour plusieurs vestiges archéologiques. La notice fait état des découvertes suivantes :
- novembre 1823 : Au lieudit L’Hermitage, à proximité de la voie romaine, les terrassiers tombent sur un petit caveau qui contient encore une urne de verre et trois pièces romaines (dont une d’Hadrien).
- mai 1824 : Au lieudit La Petite Couture sont trouvés la dent et les ossements « d’un énorme quadrupède » qui est manifestement un mammouth.
- juin 1824 : Un casque de l’époque moderne est trouvé « sur la place du Chesne, dans les anciens fossés du fort, près d’un
vieux pont dont on a reconnu la culée ». Auprès de cet emplacement se trouvaient aussi des ossements humains.
- août 1824 : Une épée isolée, datant de la Renaissance, est découverte à 8 mètres de distance du casque.
De 1840 à 1870 sont effectués des travaux d’amélioration du canal des Ardennes. Rappelons qu’au Chesne ils consistèrent principalement à établir un réservoir d’alimentation dans la vallée de Bairon, lequel fonctionna dès 1845 pour assurer toute l’année l’alimentation du canal en eau.
Un des legs du canal des Ardennes consiste dans l’édification de maisons éclusières, stéréotypées, propriétés des ponts et chaussées. L’éclusier y est logé gratuitement. Il s’occupe de l’éclusage des bateaux, mais aussi de l’entretien du chemin de halage. Avant 1914, le garde chargé d’inspecter les éclusiers résidait au Chesne.
En 1930, le trafic sur l’ensemble du canal se montait à 726 296 tonnes de marchandises, essentiellement des matériaux de construction, des produits agricoles, de la houille et du bois. Dans l’entre-deux-guerres, une seule péniche, L’As des As, avait son port d’attache au Chesne. Le canal connaît son apogée pendant les Trente Glorieuses et un irréversible déclin économique à partir de la crise du milieu des années 1970.
La plaisance, principal argument mis en avant dans les difficultés posées actuellement par la remise en état du canal, représentait 213 bateaux en 1980 et 404 en 1986. Dans la même période, le nombre de bateaux marchands baissait de 1 999 unités en 1980 à 1 568 en 1986.
Florent SIMONET
Source principale : Le canal des Ardennes, SEA, 1987, notamment les études de Marylène Thillens et de Raymond Hardy
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