Petite histoire des étangs de Bairon (1ère partie)
Dans le n° 119 de L’Automobilisme ardennais de mars-avril 1958, quand il invite son lecteur à une promenade « à partir des étangs de Bairon », Henri Manceau choisit comme sous-titre à sa chronique historique : « petit guide du tourisme calme ». En effet, au cours de sa flânerie, le promeneur ne trouvera rien d’extraordinaire à se mettre sous les yeux, ni dans le paysage ni dans les vestiges historiques qu’il croisera sur son chemin, mais seulement des évocations du passé qui intéresseront sa curiosité à défaut de frapper son imagination
C’est ce que j’ai pu vérifier deux fois cet été en emmenant des groupes se promener autour des étangs de Bairon, la première fois le 16 juin pour le compte de la Société d’histoire des Ardennes, et une autre fois le 9 septembre avec le Rotary Club de Vouziers. Pour assurer le commentaire historique de ces deux balades culturelles, j’ai réuni une petite documentation que je propose ici aux lecteurs du Populeux pour les inciter à aller (re)découvrir eux aussi les berges des étangs de Bairon et le « petit patrimoine » qui subsiste alentour.
Une frontière
Le site de Bairon est un site anthropique,c’est-à-dire qu’il a été entièrement façonné par la main de l’homme, qui a défriché la forêt, mis en culture le terroir, construit deux digues et deux étangs artificiels et tracé de nombreuses voies de communication. Ces dernières sont parfois anciennes puisque la voie romaine Reims-Trêves passait à proximité (c’est l’actuelle D977 entre Le Chesne et Tannay) et que la digue qui sépare les deux étangs est présentée sur les cartes postales de la Belle Époque comme une ancienne chaussée romaine, elle aussi.
Le lieu est également une frontière. Une frontière naturelle d’abord, car la côte qui descend du Chesne vers le lac – une cuesta datant de l’oxfordien (163 millions d’années) – marque une rupture avec le sous-sol crétacé caractéristique de l’Argonne, au sud. C’est d’ailleurs sur cette crête préjurassique que passe la ligne de séparation des eaux entre le bassin de l’Aisne et celui de la Meuse.
Depuis l’antiquité, Bairon était aussi une frontière politique. Le village était en effet aux confins de trois pagi (ou « pays ») gallo-romains : le pays de Voncq, le pays de Mouzon et le pays de Castrice (Mézières). La frontière séparant la Francie occidentale et la Lotharingie passait là : ainsi, le Vongeois était le premier « pays » relevant du royaume de France, tandis que le Mouzonnais et le Castrice dépendaient du Saint Empire romain germanique. À la Révolution, après la disparition des anciennes limites féodales, Bairon s’est de nouveau retrouvé dans cette situation, aux confins cette fois des arrondissements de Mézières, de Vouziers et de Sedan.
Enfin, les environs de Bairon ont parfois constitué une frontière militaire, une marche. Le témoignage le plus récent de cette triste réalité historique vérifiée de siècle en siècle est celui de la dernière guerre. C’est juste à côté de Bairon que se sont déroulés les combats du Mont-Dieu et ceux de la cote 276 à Tannay.
Le ruisseau
Depuis un siècle, le nom de Bairon a acquis une certaine notoriété surtout grâce au lac de Bairon. Mais c’est un vocable historiquement beaucoup plus riche que ce qu’il en reste.
La source du Bairon est dans l’arrondissement de Charleville-Mézières, près de la ferme de Thièves, commune de Singly. Le ruisseau traverse les communes de Chagny, où on l’appelle parfois « ruisseau de Chagny », et de Louvergny, où il prend alors le nom de « ruisseau de Louvergny ». Comme il longeait l’ancien prieuré guillemite Notre-Dame des Prés de Louvergny (1249-1643), il s’est aussi appelé le « ruisseau des Prés ». Avant de se jeter dans le vieil étang au lieu-dit La Hobette, le Bairon passe près du château de
Touly.
C’est le ruisseau qui a donné son nom à l’ancien village et non l’inverse. C’est un cas fréquent : par exemple, le village d’Authe tire son nom de l’Authe, qui est l’ancien nom du ruisseau de Saint-Pierremont.
L’ancien village
La tradition se perd un peu plus à chaque nouvelle génération qui remplace la précédente, mais elle reste bien connue des habitants de la « commune nouvelle » : l’étang de Bairon recouvre un ancien village, qui a été englouti lorsque la digue du nouvel étang a été élevée. À ce propos, on peut convoquer toute une mythologie de cités submergées par les eaux, de l’Atlantide à la ville d’Ys, mais plus près de nous rappelons que le lac du Der recouvre depuis le tournant des années 1960-70 les villages de Chantecoq, de Champaubert-aux-Bois et de Nuisement-aux-Bois.
L’existence du village de Bairon est attestée depuis le Xe siècle sous des noms et orthographes divers. Cela fait de lui l’un des plus anciens villages de l’ancien canton du Chesne. D’après des documents d’époque carolingienne, l’évêque de Reims Odalric (962-969) l’avait acheté de ses propres deniers et en avait fait don à l’abbaye de Saint-Remi. L’abbaye a gardé la seigneurie jusqu’à la Révolution, mais les propriétés foncières étaient toutes passées à la chartreuse du Mont-Dieu. Au milieu du XIIIe siècle, un petit fief enclavé fut créé et confié à des vassaux des comtes de Rethel. On peut suivre le lignage de cette éphémère famille seigneuriale de Bairon jusque 1329, date à laquelle on perd sa trace dans les actes.
Jusqu’au milieu du XIVe siècle, Bairon paraît avoir été assez peuplé. Mais en 1359, pendant la guerre de Cent Ans, le village est détruit par les Anglais, sort que subit également le village voisin de Pont-Bar. Les habitants sont recueillis au Chesne, à Tannay et à Sy. Désormais, Le Chesne devient le bourg le plus important dans le secteur.
Le plan de 1559
Pour se rendre compte de la situation de Bairon au sortir de cette période troublée, un plan datant de 1559, tiré des Annales de dom Ganneron éditées par Paul Laurent dans Les antiquités de la chartreuse du Mont-Dieu (Paris, 1893), permet de se représenter la topographie des lieux en pleine Renaissance, bien avant que la prairie ne soit inondée par le nouvel étang.
Dans le coin supérieur gauche, on aperçoit le bourg du Chesne, d’où part la route vers Sauville. Un moulin à vent, construit en 1516, profite de l’exposition favorable du chemin descendant vers Bairon. Cette route croise la grande chaussée, dite « chemin des Allemands », menant de Louvergny à Tannay en passant par Pont-Bar.
Le long de la chaussée du vieil étang, le plan indique un grand moulin à eau et une pêcherie. Partant des six pales, le ruisseau traverse le hameau de Bairon situé sous Saint-Brice, puis la ferme d’Hambuy et le petit Moulin.
Enfin, on reconnaît les censes – ou fermes – dépendant du terroir de Bairon, et souvent gérées, à cette époque, par les chartreux du Mont-Dieu. En haut de la carte, on peut lire : Courtesoupe et le Haut de Bairon. Sous le vieil étang : les Courtiseaux, les Petites Fourcières et la fontaine de la Loire.
Florent SIMONET
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Plan de 1559 de Bairon et ses environs |