Petite histoire des étangs de Bairon (2ème partie)

Dans la première partie, nous avons présenté le site de Bairon au prisme de la notion de frontière et en donnant les principaux jalons de l’histoire deetang 1 l’ancien village jusqu’à la Renaissance. Il nous reste à faire le tour des deux étangs et à observer les vestiges ou éléments remarquables qui permettent de compléter cette histoire.

La chapelle Saint-Brice

Nous commencerons notre promenade à la hauteur du camping. De la route, on aperçoit les bâtiments de la ferme de Saint-Brice et, plus proche de nous, à l’écart du corps de ferme, une petite grange qui ne paie de mine. Ce sont les restes d’une ancienne église romane, dont on aperçoit encore les impostes moulurées, les arcades de communication avec des bas-côtés disparus et la grande arcade qui menait vers la croisée du transept. Ne reste que la nef, et encore les parties hautes ont disparu.

Le bâtiment peut dater du XIIe siècle et a été réaménagé en chapelle pour les fermiers de Bairon. La chapelle est supprimée en 1840 et convertie en bergerie. Elle dépend donc aujourd’hui de la ferme de Saint-Brice, juste au-dessus.

etang 4Les habitants de Bairon, qui disposaient de cette modeste chapelle dédiée à Saint-Brice, relevaient néanmoins de la paroisse du Chesne. Saint-Brice, citée parfois comme secours de cette paroisse, n’était en réalité qu’une chapelle de tolérance, sans fonts baptismaux ni cimetière, et l’on n’y tenait pas de registres paroissiaux.

Les six pales

En descendant la route depuis Saint-Brice, le promeneur arrive rapidement à la digue du vieil étang, ancienne chaussée romaine (peut-être), où l’on situe la seule légende du lieu. Les gros acacias qui étaient plantés au bout de la digue étaient issus, disait-on, de boutures de la couronne du Christ rapportées d’une croisade.

Aux six pales toujours visibles était installée l’ancienne pêcherie. Sous l’Ancien Régime, la pratique de la pêche était différente de ce qui se fait de nos jours. On pratiquait une pêche totale à de longs intervalles. Les chartreux du Mont-Dieu en avaient le profit. Par exemple, en 1776, on sait qu’ils en avaient retiré 7 000 carpes et 2 300 brochets.

Depuis le Moyen Âge, des forges étaient actionnées sous la digue du vieil étang et utilisaient la chute d’eau comme force motrice. Le minerai provenait de Nocièves, de Vendresse et de Singly, plus tard d’Omont et de Sauville. En 1793, ces forges étaient encore chargées d’alimenter en boulets les canons de la République. Lors de l’été très sec de 1933, Henri Manceau affirme avoir encore pu observer le reste de la forge, où il put recueillir du charbon de bois et du fer de la dernière fusion.

Des Courtiseaux aux Courgillots

Engageons-nous maintenant sur le chemin qui part en direction de Louvergny, de manière à faire le tour du vieil étang. On aperçoit de proche en proche d’autres fermes, semblables à celle de Saint-Brice.

Après la guerre de Cent Ans, quand Bairon détruit tâche de se relever, au moins partiellement, une vingtaine de fermes (ou censes, comme on dit à l’époque) se partagent les terres. Quelques noms de ces fermes sont bien connus de tous : Ambly, l’Arbre-Gelé, l’Armageat, les Courgillots (Louvergny), les Courtiseaux (Sauville), les Fourcières, la Loire, la Remontée (Tannay).

Toutes ces fermes étaient autant de biens de l’Église que les chartreux du Mont-Dieu faisaient exploiter par des fermiers. Dans la série H des archives départementales, on possède tous les actes qui montrent le fonctionnement de ce système économique, notamment un énorme livre relié (H357), cerclé solidement comme un tonneau de Champagne, qui est un livre de comptes des fermiers qui ont vécu sous François Ier et sous Louis XIV. Toutes les censes furent vendues comme biens nationaux à des particuliers en 1791. Souvent, ce sont les fermiers eux-mêmes qui rachetèrent les exploitations qu’ils mettaient en valeur. Ainsi, Charles Tuot, de Courtesoupe, rachète-t-il la ferme de Saint-Brice.

La Hobette

La Hobette, d’un mot germanique désignant une « petite cabane ». est une ancienne bergerie construite à l’endroit où, près de Louvergny, le ruisseau vient se jeter dans le vieil étang.etang 5

Rien ne signalerait autrement ce petit bâtiment bien préservé s’il n’avait été la maison natale de l’abbé Arthur Haudecœur (1859-1915), né à la Hobette d’un père berger à Derrière-le-Terme et d’une mère appartenant à une famille de lainiers. Bachelier ès lettres à Nancy (1875), il prend la tonsure écclésiastique et enseigne à Saint-Remi à Charleville puis au petit séminaire de Reims. Curé de Pouillon (Marne) en 1896, où il meurt au début de la guerre, il était membre de l’académie nationale de Reims et fondateur de la Revue de Champagne. On lui doit une trentaine d’articles et d’ouvrages sur l’histoire locale, notamment celle de Louvergny.

De la Hobette, on passe ensuite sous la ferme des Courgillots avant de retrouver la chaussée qui sépare les deux étangs, du côté du Chesne cette fois. Au passage, on aura peut-être pu observer des spécimens de la flore et de la faune qui font le bonheur des naturalistes et qui justifient l’inscription de 219 ha comme zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Outre la vaste roselière en amont, signalons une végétation originale de gazon temporaire à chanvre d’eau. Parmi les espèces protégées ou menacées, il faut citer le triton crêté, le blongios nain (un héron nicheur et migrateur blanc), le cincle plongeur et une douzaine de libellules figurant sur la liste rouge régionale.

À propos du nom de la commune nouvelle

En 1790, le ban du Mont-Dieu fut intégré dans la commune créée par la réunion de Bairon – l’ancien village alors devenu un hameau du Chesne – et de nombreuses censes avoisinantes, sous le nom de Bairon-Le Mont-Dieu. Mais, en 1829, malgré une pétition des habitants à la Chambre des députés, Bairon fut soustrait de cet ensemble et son territoire fut partagé entre Le Chesne, Louvergny et Sauville tandis que Le Mont-Dieu demeurait une commune, qui reste la plus petite du             département.

L’endroit où nous arrivons, à la séparation entre les deux étangs, est le point de jonction de trois villages : Louvergny, Le Chesne, Sauville.

Comme l’a écrit l’un de nos amis historiens du Curieux Vouzinois : « Le choix des conseillers municipaux des trois anciennes communes des Alleux, du Chesne et de Louvergny de baptiser la commune nouvelle du nom de Bairon apparaît donc comme un heureux rappel de l’histoire de ce coin de terre du Vouzinois. En choisissant un toponyme communal nouveau, on efface certes un peu ceux des Alleux, du Chesne et de Louvergny, avec leurs significations et leurs histoires respectives, mais on évite un nom artificiel et sans racine. »

Le nouvel étang

Ce bassin, qui occupe une belle prairie où l’on pouvait voir serpenter un ruisseau jusque vers 1840, a été construit pour servir de réservoir au canal des Ardennes reliant l’Aisne et la Meuse. En 1828, on avait d’abord imaginé de surélever de 3 mètres la digue du vieil étang, ce qui aurait englouti une partie de Louvergny, mais l’ingénieur Boucaumont proposa le premier, en 1841, d’établir en aval une seconde digue et de créer ainsi un nouvel étang.

etang 6Dès 1841, le chantier est adjugé à Maget de Vendresse et à Ricart de Connage. Le gros œuvre est terminé en 1846, mais de nombreux éboulements, fuites et crues intempestives vont retarder son achèvement jusqu’aux années 1880. Les deux bassins cubent environ 5 millions de m3 d’eau.

Réservoir et canal vont servir à plein jusqu’au milieu du XXe siècle avant de connaître le déclin. En 1968, le tonnage était encore supérieur à 376 000 tonnes.

Depuis, malgré des restructurations en cours, le « lac de Bairon » s’est tourné vers le tourisme. C’est le 12 juillet 1963 qu’on a inauguré un terrain de camping alors géré par l’office de tourisme. Dans la foulée, on ouvrit une baignade. Enfin, en juin 1981, ce fut l’ouverture de la base départementale d’animation de la jeunesse et des sports, qui avait alors une capacité hôtelière de 70 lits.

Florent SIMONET